La transmission selon les artisans dans « Le Français dans le Monde » Par Cecile Josselin
Qu’ils aient acquis leur savoir-faire en regardant leurs parents travailler ou qu’ils aient appris leur métier en autodidacte ou dans une école, tous les artisans ont à coeur de transmettre leur métier car c’est pour eux aussi une passion.
Yannick Delplace, plumassier indépendant
« Nous sommes une cinquantaine en France. La plupart exercent dans une des deux maisons parisiennes : la maison Lemarié spécialisée dans la haute couture qui a été rachetée par Chanel et la maison Février qui s’oriente plus du côté du cabaret et du spectacle.
Personnellement, J’ai découvert le métier de plumassier au moment du passage à l’an 2000. À l’époque, le directeur artistique de Paco Rabanne m’avait sollicité pour un décor de vitrine. Il voulait une matière originale. Nous avons eu l’idée d’utiliser des plumes.
Comme j’ai beaucoup aimé faire cela, quand j’ai eu la possibilité de suivre une formation j’ai décidé de me former au lycée Octave Feuillet à Paris. C’est le seul lycée en Europe qui enseigne la plumasserie. Je crois que la majorité des plumassiers confirmés sont issus de cette école.
J’ai eu la chance d’y rencontrer Dominique Pillard qui y est professeur. Il m’a transmis la passion du geste et de la matière. Il a été pour moi un véritable mentor. Je le consulte encore régulièrement quand j’ai une question. Je l’admire beaucoup parce qu’il a cette passion de transmettre, de valoriser, de trouver les astuces. C’est un passionné qui m’a beaucoup inspiré. »
Isabelle Lavisson, piqueuse apprêteuse chez John Lobb, bottier
« Cela fait dix-sept ans que je travaille chez John Lobb. Même si j’avais déjà exercé ce métier à Saumur, je n’étais pas du tout dans le métier au départ. J’étais dessinatrice en génie civil. Ma reconversion s’est faite par hasard. L’entreprise dans laquelle je travaillais avait fermée. Un bottier militaire m’a proposé de venir travailler avec lui. À part une formation de deux cents heures de piqûre à Cholet, j’ai appris le métier sur le tas. Il faut plus de dix ans pour le maîtriser complétement, particulièrement dans le sur-mesure.
À mon tour, je transmets aujourd’hui le métier à de nouveaux apprentis. Cela prend beaucoup de temps parce qu’ici nous ne faisons jamais deux fois la même paire. La technique varie en fonction de chaque chaussure et de chaque commande. Du coup le travail est différent tous les jours.
Je pense que c’est très important de transmettre notre savoir-faire aux jeunes car c’est un métier qui se perd énormément. Ce serait vraiment dommage qu’il disparaisse. »
Nicolas Marischael, orfèvre indépendant
« Dans le domaine de l’orfèvrerie, travaillent aujourd’hui en France environ 3 000 personnes, la plupart exercent dans de grandes maisons comme Christofle, Ercuis et Puiforcat.
Personnellement j’ai pris la succession de mon père, qui lui-même avait appris le métier de son père. De génération en génération, nous sommes devenus plus polyvalents. Mon grand-père était cuillériste. Il ne faisait pratiquement que des couverts. Mon père, qui lui a succédé, s’est spécialisé dans la restauration d’argenterie ancienne. Et moi, je suis fabricant-restaurateur mais aussi expert judiciaire et créateur de collection en argent massif très contemporaine.
Cette transmission de génération en génération présente un vrai avantage dans la mesure où il est extrêmement difficile aujourd’hui de trouver l’outillage nécessaire à l’exercice de ce métier. Autant, tout le monde peut acquérir le savoir-faire dans des écoles comme l’école Boule ou l’école Tanné en Bretagne, autant il est quasi impossible de s’installer comme artisan sans les outils, car ils ne se trouvent plus et s’il faut les fabriquer, cela coûte une fortune. »
Grégoire François, Maître teinturier chez JBD Gabriel Teinturerie
« J’ai appris le métier auprès de mon père qui lui même l’avait appris auprès de mon grand-père. C’est lui qui a acheté cette société en 1945. Nous sommes avec ma sœur qui m’a rejointe la troisième génération à exercer cette profession.
Dans le domaine du luxe, il n’existe plus que trois sociétés artisanales en France, toutes de petite taille. C’est donc un métier qui se perd. C’est la raison pour laquelle nous avons le label d’entreprise du patrimoine vivant (EPV) français.
Aujourd’hui, il n’y a plus de formation pour devenir artisan teinturier. Il y a bien des écoles qui font de l’ennoblissement textile durant les dernières années du cursus, mais ces diplômés arrivent avec 85 % de connaissances qui ne vont pas nous servir ici et seulement 15 % de connaissance dont nous aurons besoin. Comme il est toujours plus facile de remplir une coupe vide qu’une coupe déjà pleine, on en est arrivé à privilégier des gens qui souhaitent apprendre le métier sans rien n’y connaître avant d’arriver chez nous. On les forme alors de A à Z. Il faut juste que l’on sente chez eux une sensibilité couleur, mais après il n’y a pas de cursus.
Pour que quelqu’un soit autonome dans le métier il faut à peu près trois ans. Pour être ce que l’on appelle maitre teinturier, c’est dix ans minimum. »
Poupie Cadolle, présidente de Cadolle, maison de lingerie
« Aujourd’hui, il y a quasiment plus d’artisan en lingerie en France. À part nous qui faisons toujours du sur-mesure, le secteur est presque complètement industrialisé.
Il y a vingt ou trente ans, il n’y avait plus aucune école, à part une école d’orthopédie qui rebutait tout le monde, car on y travaillait des matières pas rigolotes. Puis la lingerie est redevenue à la mode comme vecteur de séduction et de féminité et il y a maintenant en France trois-quatre écoles qui forment au métier. Je prends chez moi en permanence des stagiaires que je forme durant cinq à sept semaines. Elles apprennent d’abord la haute couture à l’atelier durant une ou deux semaines pour qu’elles sachent ce que c’est. Puis, j’envoie les plus rapides à Cadolle diffusion à Saint Ouen pour qu’elles apprennent aussi le métier en prêt à porter, car in fine, à moins d’être embauchées chez Cadolle, c’est dans l’industrie qu’elles travailleront comme mécanicienne ou modèle. »